Quand le sommeil plombe nos membres et muselle notre conscience bavarde, les morts viennent nous visiter.
Ils sont doux et tendres, ils ne savent pas qu’ils sont morts et nous, nous ne nous en souvenons pas non plus. Nous nous réjouissons si fort de les voir que nous nous écrions : “Tu sais, j’ai fait l’affreux cauchemar que tu étais mort, quelle folie!” Et ils hochent leur vieille tête chenue, et leur regard bienveillant approuve: “Quelle folie!…”
Alors nous pétrissons leur main douce et tiède, et nous leur disons comme ils sont beaux et lumineux avec leur visage reposé, et ils sont si heureux qu’on les choie et les dorlote, ils n’en reviennent pas. Les vieux morts n’ont pas été gâtés alors qu’ils vivaient, ils étaient gênants, encombrants, si lents dans le tourbillon de nos vies, un poids qu’il fallait traîner. On finissait parfois par ne plus voir que leurs défauts, lourds objets inutiles qu’on les croyait devenus, pleins d’inconvénients : tristesse, fatigue, dépendance absolue.
Mais là, nous avons du temps, nous pouvons tranquillement nous promener dans les avenues ombragées, en prenant garde qu’ils ne marchent pas du côté des voitures et qu’ils ne trébuchent pas. Leur bras si léger repose sur le nôtre et s’y agrippe lorsqu’ils butent sur une pierre ou tournent leur fragile cheville et manquent de tomber. Nous nous promenons lentement, et les paisibles frondaisons des parcs chuchotent à leurs oreilles des mots consolateurs, et nous nous penchons vers eux : “Tu entends comme les oiseaux chantent aujourd’hui? On les sent ivres de joie.” Nous ne regardons pas nos montres, car aucun devoir ne nous appelle, nous sommes là pour caresser leur main tavelée et douce.
Quelquefois nous parlons à un mort d’un autre mort : “Tu sais, c’est si triste, maman est morte, mais quel bonheur que, toi, tu sois bien en vie!” Alors, il est étonné, il ne savait pas, ça lui fait un drôle d’effet, et nous serrons son corps faible et osseux dans nos bras, car nous sentons bien comme ce mot a pour eux, les vieux morts, un trop proche écho. Nous les protégeons de nos corps sains et forts, de notre joie de vivre, nous formons un écran entre la terreur du néant et eux, et nous les sentons s’apaiser dans nos bras, tels des bébés rassasiés de lait et d’amour, et ils s’endorment enfin.
Ooooh, que c’est beau.
Ca me rappelle plein de trucs. Des rêves, des vieux, et même, le prends pas mal, un rêve où mon vieux chien d’enfance était revenu d’entre les morts s’asseoir à la place du passager dans ma voiture, quel bonheur en me réveillant, comme si je l’avais revu pour de vrai.
Hé oui cela rappelle pleins de beaux souvenirs !
Mais quelle dommage qu’il n’y ai pas d’image !!!!
Bisous.
Je sais pas où tu l’avais enfoui celui-là. Tu as bien fait de le ressortir, il est toujours aussi magique.
Je l’ai ressorti car j’y ai repensé après avoir écrit “Les enfants d’Annie Ernaux”, tant il me semble impressionnant d’être juste un chaînon d’une longue chaîne et sans doute, pour moi, essentiellement ça. Comme si mon boulot avait été, sur Terre, de tenir aussi bien que possible ce rôle, modeste, de passeur de vie.