S’il avait proposé, dans le miracle de cette rencontre fortuite, qu’elle renonce à cette soirée qu’elle redoutait morne, qui le serait sûrement – s’il l’avait dans un élan de tout son être entraînée à rebrousser chemin pour aller, ensemble, dîner dans quelque brasserie de l’avenue, peut-être alors, après l’avoir suivi en riant beaucoup et en protestant un peu, se serait-elle retrouvée assise sur une banquette de peluche rouge, sous un miroir reflétant les ors des lustres de pacotille et le carmin des lèvres des femmes invitées, courtisées, passionnément regardées, et peut-être aurait-elle bu le doux feu âpre d’un très vieux bordeaux, l’odeur de la viande l’aurait grisée, mais plus encore ses rares et fortes paroles et l’autorité de sa main rapprochant sa tête à elle pour l’embrasser, et elle n’aurait pas eu à réfléchir, ni à craindre que le vin l’ait trop enlaidie, car comme une aveugle il l’aurait conduite, elle d’habitude si indécise, au coeur de Paris, au centre de son appartement, dans le mitan de son lit.
Mais il n’en avait pas été ainsi, il lui avait juste asséné – pressé, impatient de se rendre là où on l’attendait -qu’il n’irait pas à cette soirée, sûrement très sympathique au demeurant, où il avait été, quelle coïncidence, lui aussi invité, qu’il n’irait pas car il avait bien antérieurement pris d’autres engagements, mais qu’ elle s’amuserait à coup sûr beaucoup là-bas. Et dans les salons aux grises moulures, brisée de tristesse, en proie à une de ses pires crises d’autodévaluation, elle avait dû subir, balançant entre l’exaspération et la reconnaissance, le flot des impressions cinéphiliques d’un effroyable bavard, qui ne lui laissait pas dire un mot – et du moins pouvait-elle se libérer de toute participation à la conversation et se livrer au sombre plaisir de se vilipender, tout en buvant à petites gorgées le champagne tiède de toutes ses défaites.
F.C.
Oui bravo, quel écart toujours entre ce que l’on attend et la réalité …