La lumière vacillante du néon au-dessus de la table semblait avoir adopté le rythme
de la douleur intense et pulsatile de la migraine.
Mathieu achevait son rapport sur la possibilité de trouver, dans un délai raisonnable,
un vaccin pour venir à bout de cette saloperie de SARS-CoV-2.
“Si les mutations pérennes affectent souvent l’antigène de surface, la protéine
Spike, alors le vaccin unique ne sera pas efficace, mais le SARS-CoV-2 peut aussi,
en perdant de sa virulence, finir par se comporter comme ses autres cousins
coronavirus, ceux qui sont responsables de nos rhumes saisonniers (OC43, ou
229E), devenant ainsi totalement anodin et finir par ne plus nécessiter de vaccin.”
En gros, il fallait envisager des travaux complémentaires à l’infini, des dizaines de
rencontres par visioconférence avec les équipes du monde entier et la lecture de
centaines d’articles sur le sujet… On avançait toujours à tâtons.
Il se dégourdit les bras, les tirant vers le haut et en arrière avec le peu de force qui
lui restait, et il eut l’agréable sensation de ses omoplates qui se rapprochaient.
Comme s’il devenait un oiseau allongeant ses ailes pour s’élancer du haut d’une
falaise. Il revécut bizarrement le spectacle des vautours s’élançant depuis les crêtes
d’un causse cévenol, se jetant dans le vide, pour planer, puissants, majestueux et
immobiles, sur l’air qui les portait.
Oh, comme il avait aimé ces moments-là, ces paysages, ces rencontres après une
marche épuisante à travers les halliers… Irina le précédait toujours dans leurs
balades et il aimait suivre ses jambes musclées, insensibles aux griffures des
fourrés, au froid, à la pluie même. Irina, une de ses “poupées russes”, comme disait
Mickaël, étonné de ne le voir sortir qu’avec de belles Slaves, yeux clairs légèrement
bridés, joues hautes d’Inuits, peau et cheveux clairs.
Avec leurs manières rustiques, elles respiraient la santé, ça devait être ça. De belles
plantes, naturelles et fraîches, toutes regroupées dans un foyer de jeunes filles du
neuvième arrondissement, à deux pas de chez lui, quoi. L’endroit s’appelait Le
Home familial et était tenu par des sœurs de la Congrégation de la mère de Dieu.
Pas question de ramener qui que ce soit dans les lieux. Il fallait se quitter devant la
porte. C’était délicieux.
Irina était repartie à Saint-Pétersbourg et lui avait présenté Tamara, qui prenait sa
suite chez les sœurs. Et pourquoi pas, dans son lit à lui.
C’était involontaire, cette succession ininterrompue d’amantes russes. D’abord, elles
étaient vraiment pratiquement toutes belles, ne cherchaient pas à se caser ni à
fonder une famille, voulaient juste un amoureux pas trop exigeant en temps pour les
deux ou trois ans de leurs études parisiennes. Ça tombait bien, parce que lui, avec
sa recherche, les articles à rédiger avec deadline toujours plus rapprochée, les
congrès aux quatre coins du monde, le temps, c’est ce qu’il avait de moins…
Epuisé comme il l’était par le rythme d’enfer du travail au labo depuis l’apparition du
coronavirus, il songeait avec angoisse qu’il lui faudrait passer l’aspirateur dans la
chambre et la serpillière au balai dans la cuisine et la salle de bain, ce soir ou
demain matin. Il s’était promis de donner un coup de peinture pendant l’été dans
toutes les pièces de l’appartement, mais, bon, pas eu le temps, évidemment.
Demain soir, Tamara viendrait prendre un verre chez lui et elle n’aurait, comme les
autres, que la permission de 22 heures…
En sortant, il croisa Franck, le vigile. “Eh, monsieur Grenier, vous avez entendu,
c’est dès demain le confinement, aujourd’hui couvre-feu, demain confinement!
Chacun chez soi, on bouge plus. Sauf pour le boulot, hein!”
Ah, mais oui, ils avaient vaguement parlé de ça ce midi, il n’avait pas tout suivi, il
devait finir le rapport. Les battements redoublèrent dans son crâne. Il verrait ça
demain.
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Méta
Bravo, Fabienne, tu as réussi à m’accrocher avec Mathieu et ses recherches scientifiques comme amoureuses…. J’attends la suite avec impatience !
Bises
Véronique
Quelle science! la précision du début m’a épatée.
Très attachant ce Mathieu.
En quelques scènes, sa fatigue et sa migraine, ses balades dans les Cévennes, sa contemplation des vautours et son goût pour les belles Russes nous le rendent très présent. Et sympathique.
Pour ce qui est de trouver un vaccin il n’est pas au bout de ses peines, le pauvre. Et il n’aura même plus droit au repos du guerrier dans les bras d’une belle Slave… Saloperie de Sars-CoV-2.
Merci, chère Monica, pour ton accueil toujours si indulgent de mes textes!
Je suis contente que Mathieu t’agrée, moi aussi, je le trouve plutôt sympa…
Bises
Merci, chère Véronique, de ton retour si bienveillant, mais j’ai bien peur de te décevoir: je ne me sens guère d’entrain pour partir dans de vraies histoires un peu construites… Mais tes encouragements porteront peut-être leurs fruits un jour!
La suite, la suite ! Allez, Fafa, tous les jours un petit bout, ce serait un super rendez-vous coronavirus !
Très chouette ce mélange de passé et de présent. L’idée des “poupées russes” est excellente… et le dessin de Marlène charmantissime.
Merci, chère Muriel, de ton retour et de tes conseils! Si j’avais un peu plus de suite dans les idées, je ferai ce que tu me dis, et j’ai même déjà un peu commencé avec un autre texte. Mais je ne suis pas assez sérieuse, hélas, pour aller bien loin, et faire, comme toi, un travail abouti…
Merci, chère Marion, c’est très gentil de me lire encore! Et je suis très contente que tu apprécies le dessin de Marlène, qui n’en était pas vraiment satisfaite, alors qu’il est si beau. Tout ça, ce sont des exercices que je fais avec mes petits groupes, on donne un thème ou une dizaine de mots et chacun l’illustre par un dessin ou un texte, comme il veut…
Ben oui je suis d’accord il faut une suite à cette migraine naissante…et puis toutes les poupées russes ne se valent pas, il y en a forcément une d’irréductible !
Encore !
Merci, chère Anna, de ton enthousiasme! A toutes mes histoires, on pourrait donner une suite, mais il me faudrait une retraite solitaire au fond des bois pour pouvoir le faire! J’en suis loin…