Woody Allen, c’est comme tous ceux qu’on aime: on chérit leurs défauts presque autant que leurs qualités et on se dit que c’est sûrement passager, leurs petits travers. Donc, j’aime toujours Woody Allen, mais sa période anglaise, quand même…
Donc après l’enchantement un rien désespéré de “What ever works”, c’est vraiment le ravissement :”Vous allez rencontrer…” me semble doublement réussi.
D’abord la forme: des lumières à la Bergman, des acteurs merveilleusement dirigés, un montage habile qui nous trimbale de lieux en personnages sans cesse renouvelés, un vrai feu d’artifice de virtuosité.
Et puis l’histoire, ou plutôt les histoires. On joue à qui perd-gagne. Une vieille épouse abandonnée, un vieux qui se croit jeune, un auteur sans talent qui s’ennuie avec sa femme, laquelle, harcelée par sa mère dépressive, ne trouve rien de mieux à faire que de l’encourager à suivre les conseils d’une voyante, très intéressée, etc. C’est le film gigogne, chaque personnage en cache un autre. Naïveté et imposture sont les maîtres-mots du récit. Imposture du “tendron” avide qui séduit le vieil homme, imposture de l’auteur raté qui vole un manuscrit à son ami qu’il croit mort, imposture, bien sûr, de la voyante, délicieusement compréhensive et follement cupide.
Les naïfs paient cher leur crédulité – sauf la vieille dame, que sa lubie new age va sortir de la dépression et de la solitude.
Impossible de résumer un film si foisonnant. Il faut le dire: c’est un film sans fin, juste une séquence dans la vie de quelques êtres qui sont reliés entre eux par les liens de la famille. On ne sait ce qu’ils deviendront, mais cela n’a, à mon sens, pas d’importance. On s’est régalé et la vie est ainsi. Sait-on où l’on va? Jamais. On sait seulement que les grosses erreurs ne peuvent plus être effacées. Dans “Le Désert des Tartares”, Dino Buzzati montre combien la jeunesse pense toujours pouvoir prendre n’importe quelle route, qu’il lui sera toujours possible de rebrousser chemin et de prendre une autre voie, à un croisement négligé jusqu’alors. Mais l’on se retrouve vieillard, on se retourne et tous les croisements ont mystérieusement disparu. La route s’étend à l’infini, derrière soi. Vide de chemins où bifurquer. Il ne reste plus qu’à avancer jusqu’à la mort.
Les héros de “Vous allez rencontrer…” sont saisis à ce moment où ils jettent un oeil en arrière et s’aperçoivent que toute bifurcation passée a disparu.
Alors, le spectateur rit, mais un peu jaune quand même.
Que de jolis commentaires sur ce film !
Je n’avais effectivement pas perçu cette notion de choix et d’erreurs irréparables.
Cela me donne envie de le revoir, maintenant que j’ai une opinion différente.
Marie