C’est décidé. Elle fera sa déclaration à Loïc ce soir. Après la leçon, de préférence. Enfin… elle verra bien.
Elle reprend sa serviette éponge à fleurs et sort de la cabine de bronzage. Sous les ardeurs du soleil artificiel, bercée par la musique sirupeuse, elle en a pris la ferme résolution. Tant pis si elle demeure un peu rosée comme gigot à l’os, rien cette fois ne la fera reculer…
Elle prend sa leçon de piano avec Loïc à 19 heures. 9h37, annonce son portable, ça lui laisse du temps pour devenir éblouissante. Libre, si libre aujourd’hui, elle a pris un jour de congé. Yvan a rompu avec elle la semaine dernière, elle n’a plus qu’à annuler leur voyage à Athènes en novembre. Ce grand sportif qui voulait renouer avec l’Histoire et emprunter la route suivie par Philippides en 490 avant JC entre Marathon et Athènes (quel raseur, ce type!), cet athlète superbe l’a laissée tomber brutalement. C’était tout à fait vexant, mais en dehors de ça, quel soulagement! 4 jours, 3 nuits, 830 euros, mais quel bonheur d’échapper à ça – courir de relais en relais pour l’encourager, bichonner son champion, lui masser les pieds, assister à ses mouvements de gym au ralenti pour se détendre, l’encourager toujours, tout le temps…
830 euros, à peu près ce que lui coûteraient la trop jolie robe jaune paille en soie naturelle (y en aurait-il de l’artificielle?, se demande-t-elle maintenant) et les chaussures gris souris dont elle rêve…
Elle trottine gaiement, insouciante, cheveux au vent et joues brûlantes malgré la fraîcheur toute printanière de la matinée.
Petit détour par Unitarif: nouveau rouge à lèvres au parfum frais (“comme des chairs d’enfants”, se souvient-elle brusquement, voilà que son Baudelaire de terminale lui revient en mémoire, n’importe quoi!), et elle pense à sa petite nièce… Et crayon à yeux. Et… quelle jolie bague chez Jade Bijoux: elle est raisonnable, mais… comme elle ferait bien à l’un de ses doigts, surtout qu’elle a pris le temps de vernir ses ongles minces.
Elle traverse le fleuve, si beau, si lisse, avec l’église un peu plus loin, parmi les maisons du centre, pas trop hautes, comme dans les gravures.
Juste avant d’arriver chez elle, à deux numéros de là, on sort un cercueil d’un immeuble, précautionneusement. Le corbillard est garé tout près, les quatre hommes l’y mettent avec douceur, la mine grave. Derrière eux, une petite foule éparse. Les uns entrent dans le corbillard, d’autres vont vers les voitures garées alentour.
Ça lui fait drôle, la mort, comme ça, si proche, près de la rive où coule son fleuve aimé, près de la porte cochère qu’elle emprunte vingt fois par jour. Quelque chose remue en elle, une boules de larmes, on dirait, qui monte et qui descend. Il y avait une femme, elle l’a bien vue, jeune comme elle, toute fripée de chagrin avec un petit à chaque main. Elle portait une robe bleu marine à fleurs blanches, elle était belle et comme effondrée au dedans. Juste une enveloppe, un masque.
Elle rentre chez elle. Le soleil inonde la pièce et les fleurs du balcon oscillent dans le vent.
Elle va chercher une bière dans le réfrigérateur. Et aussi les biscuits salés, ceux qu’Yvan aimait prendre avec l’apéritif en regardant le coucher de soleil sur la Loire.
Ce soir encore, elle sent bien qu’elle ne fera pas de déclaration à Loïc. Pourvu qu’elle puisse seulement bien jouer le long morceau qu’il lui a demandé d’étudier.
C’est trop joli, plein de poésie, de cette province que nous aimons, de détails si vrais. Bravo encore.
Merci, mon Patrick, c’est vrai, quel bonheur, nos jolies découvertes en France!
Il y a un petit creux alors je lis la douce prose de Fabienne !
Une production quotidienne !
A mon avis, tu cours un gros risque de t’endormir!! Merci, chère Marion, de ton fidèle intérêt pour mes petits textes…
merci fabi, j’adore tes textes ….
est ce qu’il y aura une suite?
bisous bisous et bonne journée
Merci beaucoup, ma Chantallou! Non, pas de suite pour “Loin de Marathon”, mais peut_être pour “Le Chant des mésanges”, oui, si jamais je trouve le temps…
Oh! oui, on aimerait une suite.
On s’était déjà attaché à ton héroïne et on est déçu qu’elle renonce à son projet…
Coquine de Monica, oui, oui, il faudra lui donner une suite. Mais elle ne rencontrera pas un corbillard tous les soirs, ne t’en fais pas. Un petit moment de vague à l’âme et tu vas la voir repartir bientôt. Bon , faut juste que je trouve le temps… Merci en tout cas d’être si bon public envers moi!