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Visites nocturnes | Fabienne Grünfeld Clairambault
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Visites nocturnes

Quand le  sommeil a plombé nos  membres  et muselé  notre conscience  bavarde, les  morts  viennent  nous visiter.

Ils sont doux et  tendres, et ne savent pas qu’ils sont morts et  nous, nous  ne  nous en  souvenons  pas non plus. Nous nous réjouissons si  fort  de  les voir que, plus  d’une fois, nous nous écrions: “Tu sais, j’ai fait l’affreux cauchemar  que tu étais mort,  quelle folie!” Et  ils hochent   leur vieille  tête  chenue, et  leur regard bienveillant  approuve: “Quelle folie!…”

Alors nous pétrissons leur  main  douce et tiède, et nous leur disons comme ils  sont beaux  et  lumineux avec leur visage reposé, et ils  sont si heureux qu’on les choie et les dorlote, ils n’en reviennent pas. Les vieux morts n’ont pas été gâtés alors  qu’ils vivaient, ils étaient toujours gênants, encombrants, si lents dans le tourbillon de nos vies, un boulet  qu’il  fallait  traîner. On  ne voyait plus d’eux que leurs défauts, pis, comme des objets  ils présentaient  des  inconvénients: tristesse, fatigue, dépendance absolue.

Là, nous  avons du temps,  nous pouvons  tranquillement nous promener dans  les  avenues ombragées, en prenant  garde  qu’ils ne marchent pas du côté des voitures et  qu’ils ne  trébuchent pas. Leur bras si léger  repose sur le nôtre  et  s’y agrippe lorsqu’ils butent sur une pierre  ou tournent  leur fragile  cheville et  manquent de tomber. Nous  nous promenons lentement, et les  paisibles frondaisons des parcs chuchotent à leurs oreilles des mots consolateurs, et nous nous penchons  vers eux:”Tu entends comme  les oiseaux  chantent aujourd’hui ? On les sent fous de  joie.” Nous ne regardons pas nos montres,  car  aucun devoir ne nous appelle, nous sommes là pour caresser  leur  main  tavelée et  douce.

Quelquefois nous parlons à un  mort d’un autre mort : “Tu  sais, maman  est morte,  mais  quel  bonheur que,  toi, tu sois  bien  en vie!” Alors,  il  est étonné, il ne savait pas, ça lui fait un drôle d’effet,  et  nous serrons son corps  faible et osseux dans nos bras,  car nous sentons bien comme ce mot a pour eux, les vieux morts, un  trop proche écho. Nous les protégeons de nos corps sains et forts, de notre joie de vivre, nous formons un  écran entre  la terreur du néant et eux, et nous  les sentons s’apaiser dans nos  bras, tels des bébés rassasiés de lait et d’amour, et ils  s’endorment  enfin.

F.Clairambault

fabienne:

View Comments (1)

  • Les mots sont justes, le texte à la fois profond et en même léger et doux et pourtant mon émotion est remontée comme une vague. Merci.