Snow Therapy, de Ruben Östlund, ou la fragilité des hommes

2-145 snowSnow Therapy a obtenu le Prix du jury « Un certain regard » au Festival de Cannes 2014. L’intitulé de cette section de la sélection officielle du Festival lui va comme un gant.

Il y a chez Östlund la justesse et la cruauté de ceux qui regardent le couple sans complaisance, qui secouent la pâte figée des bons-beaux sentiments, qui nous l’exposent dans ce qu’il est : au-delà de l’amour, une construction sociale où entrent souci de l’image, convention et implacable obéissance aux codes les plus éculés. Bergman n’est pas si loin, mais aussi le Michael Haneke de Code inconnu ou l’Ashgar Farhadi d’Une séparation.

Une jolie petite famille, suédoise en l’occurrence, part skier pour une semaine dans les Alpes françaises. Intendance pénible des sports d’hiver, chaussures et skis encombrants, photos sur les pistes, épuisement du premier jour. Tout va bien, même si , pour d’aucuns (j’en suis!), c’est déjà le cauchemar… Le deuxième jour, alors que papa, maman et leurs deux adorables têtes blondes déjeunent sur une terrasse d’un restaurant d’altitude, une avalanche, en principe contrôlée, descend majestueusement de la montagne.

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La scène est d’un réalisme saisissant. Car, contrôlée, l’avalanche ne semble pas l’être du tout. On voit à l’écran la masse neigeuse fondre sur les clients d’abord médusés, puis fuyant à toutes jambes. Le père, cela ne nous échappe pas, à nous les spectateurs impartiaux, ramasse ses gants, son téléphone et fuit hors champ. La femme protège ses enfants, et tous disparaissent bientôt dans un blanc sépulcral.

Rien de grave. L’avalanche s’est écrasée contre le bas du restaurant et la poudre de neige retombe lentement. Chacun reprend curieusement sa place, devant des plats refroidis à l’unisson de l’ambiance, le père, Tomas, revient à son tour. Pas un mot n’est échangé au sein de la famille si jolie. La mère, Ebba, cherche le regard du père. De ce dernier, on ne voit que le dos. Personne ne pipe mot. C’est tout.

Sur Télérama.fr, Ruben Östlund explique que, « dans nos cultures, l’archétype masculin le plus représenté et le plus reproduit est sans doute l’homme-héros, le protecteur de la famille, le sauveur des faibles. Bien des films américains épousent ce modèle : une famille vivant en paix se retrouve soudain ébranlée par une menace extérieure ; pour régler le problème, le pater familias doit recourir à contrecœur à la violence, puis tout rentre dans l’ordre et la normalité. Quand le mari ne se conforme pas aux attentes sociales et familiales forgées par ce mythe, les liens familiaux s’en trouvent profondément éprouvés. D’où l’effet boule de neige : l’explosion du nombre de divorces en post-situation de crise. »

Ailleurs, il raconte s’être inspiré de l’histoire d’un couple ami pour écrire son film : alors qu’ils étaient en Amérique latine, des hommes armés étaient entrés dans le lieu où ils se trouvaient et avaient commencé à tirer. Suivant malencontreusement son instinct, son ami s’était enfui, laissant sa femme seule.

Mais ce n’est pas cela pour moi, le cœur poignant du film. L’instinct de survie ou le courage.  Ce qui est bouleversant et si cruel, c’est ce qui va se nouer ensuite entre cet homme et cette femme face au récit qu’elle fait, qu’elle répète, dont elle le harcèle, prête qu’elle est cependant à lui pardonner, par amour et parce qu’elle admet sa fragilité, sa faiblesse.

snow ther

Ce récit, sa fuite désastreuse face au danger, il le récuse, le nie. Il comprend « son ressenti », son « interprétation », elle en a le droit, etc. Magnanime, il ne lui en veut même pas, du moins plus après plusieurs « relances », de sa « paranoïa ». Il voudrait juste qu’elle arrête, que tout redevienne comme avant. Des amis de passage lui démontrent que ce n’est pas grave, que l’instinct de survie, ça ne se commande pas, et puis certainement qu’on peut imaginer qu’il allait chercher de l’aide… Rien n’y fait : elle « délire » et… il n’a pas pris la fuite.

Plus Tomas essaye d’éviter le conflit, plus elle cherche la confrontation, pour sortir du sentiment d’abandon total qu’elle ressent. Et pourtant le film ne vire jamais au psychodrame, Ruben Östlund y injecte une grande dose d’humour, un sens du ridicule et aussi une poésie contemplative qui l’éloignent complètement du drame. La virtuosité de la mise en scène, l’excellence du jeu des acteurs et de l’écriture, l’atmosphère générale, soulignée par la photographie majestueuse, en font un film d’une beauté captivante et d’une grande profondeur psychologique… jusqu’aux dernières scènes du film, à mon avis totalement ratées. Fausse scène de drague dont on ne voit ni le sens ni l’intérêt, réhabilitation du père sauveur (lors de la perte de tout repère dans la neige, puis dans la scène de panique dans le car) : les derniers plans banalisent, hélas, un film qui brillait par sa sensibilité et son originalité  et dont le happy end aurait pu être tout autre.

Ne gardons du film que ce qui en fait la réussite : au-delà du thriller psychologique, un hymne à l’amour conjugal, à l’indulgence des femmes aimantes et à la fragilité des hommes.

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