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murmures d’hiver | Fabienne Grünfeld Clairambault
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murmures d’hiver

Les pétales secs bruissent sur les cailloux blancs éparpillés au centre  du rectangle de granit gris. Quelques-uns sont restés accrochés à la branche horizontale de la vieille croix orthodoxe. Recroquevillés, flétris, dentelles de copeaux. Est-ce la bise de janvier ? Ils rosissent, un délicat duvet semble les parcourir, un frisson sur la peau nue. Ils se déplient, frileuses ailes de papillon, s’arrondissent, pétales nouveau-nés qui susurrent :

« Ma fille, ma petite fille, tendre petite fille  de nous, tu nous as quittés il y a si longtemps. Notre rayon de soleil, notre miel à nous, nous n’avons rien compris alors, nous étions si épais, si proches. Nous étions poison versé dans ton eau claire. Vois comme nous sommes maintenant beaux et lointains. Le poison nous a quittés, et la force, et nous laissons glisser vers toi nos haleines parfumées. Mais tu sens notre appel, et nos vieux os s’affolent.  Ne nous rejoins pas, non, non, vis et sens-nous si légers dans ton sillage.  Sens la caresse de nos mains-zéphyr, souviens-toi de nos bouches arrondies en un dernier baiser. La terre qui emplit nos gorges est salée,  comme le sang, comme les larmes,  mais elle ne nous étouffe pas, tu le vois bien, nos paroles  te suivent et embaument ta route. Ne nous rejoins pas, adorable bébé,  délicieuse fillette  aux nattes rebelles, ne te soucie pas de nous, nous sommes si bien dans le blanc de l’hiver, le froid nous enveloppe et nous berce, et tu entends l’écho de nos rires clairs. »

Une feuille parcheminée d’érable vogue et tourbillonne autour de la lourde croix. La voix est profonde et tu n’as plus besoin de tendre l’oreille.

« Fille de  mon fils, oui, toi  qui l’as  tellement négligé. Comme la vie coule en toi avec sauvagerie. Tu pousses tel le brin d’herbe dans la maigre fente du macadam. Mon fils, mon doux trésor de fils, t’a donné sa fièvre et sa joie. Mais te voici qui vacilles, fille de lumière, tu  t’avances vers l’ombre noire des grands cyprès et pour toi le jour est comme la nuit . Ressaisis-toi, redresse-toi, regarde le soleil dissiper les glaciales vapeurs de la nuit, laisse la mésange emplir ton oreille de son chant matinal. Plus tard, plus tard, tu trouveras refuge auprès de nous, le temps n’est pas venu… »

Sarabande des vieux bourgeons fanés de bruyère, pépiement des voix   aigrelettes qui rient, des voix inconnues qui interpellent :

« O fille des Russes et des fous, ô Krasivaïa Viesna, entends-nous aussi, sens nos parfums, respire, respire le vent de nos rires, porte-les comme parures à tes vêtements, fais-les sonner dans l’envol de tes robes, danse, danse, fais s’ouvrir le cercle des ombres funèbres, qu’elles ne puissent qu’à distance respectueuse suivre tes pas, qu’elles perdent ta trace dans les vagues mouvantes et chaudes des folles avoines. »

La bourrasque emporte la spirale des bourgeons mort-nés et des lourdes feuilles, les pétales virent au carmin dans le ciel de bronze mat et tu as desserré la croix de granit gris. La nuit est tombée d’un coup, tu as fermé autour de ta gorge brûlante le col de ta veste en loup. Le bruit chaud des pneus sur la chaussée a guidé ta marche vers la sortie. Comme tu es la dernière, tu as tiré derrière toi la lourde porte de fer.

Fabienne Clairambault

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