Est-ce à cause de sa hiératique beauté que nous avons été si longtemps privés de Catherine Deneuve dans un vrai rôle comique ? Encore un bénéfice de l’âge : certaines stars à la beauté trop noble peuvent, grâce au passage du temps, se permettre l’art délicat du ridicule choisi et assumé.
Ce film est pour moi un régal de kitsch, d’amour de la féminité, de drôlerie, de détournement des codes sociaux (les syndicalistes ne sont pas plus choqués que cela de voir Mme Pujol apparaître à la table des négociations emperlousée à mort: jugent-ils eux aussi que, puisque c’est grâce à eux qu’elle possède ces fastueux bijoux, ils ont bien le droit d’en profiter un peu?) … et de nostalgie.
Nostalgie de ces années 70 , caricaturales à souhait. Ce ne sont pas seulement les décors qui les rendent dans un paroxysme de kitsch, mais les sentiments et la façon, naïve, de les exprimer. Le téléphone habillé de velours, les papiers peints aux énormes motifs géométriques orange et marron, les bouquets de fleurs en tissu servent d’écrin à des propos désormais décalés. Le divorce n’est pas encore la chose la plus naturelle du monde, Mme Pujol parlent des liens invisibles qui lient un vieux couple plus fortement que la passion, le fils assume une homosexualité qu’il ne revendique pas avec force, la fille tient envers et contre tout à son mari sans que nous ne voyions jamais ce dernier, le p(m)aternalisme passe très bien la rampe.
Du coup, tout baigne dans une ambiance de gentillesse affreusement démodée et délicieusement ridicule, comme les poèmes niais que compose Mme Pujol, telle une héroïne au tout petit pied de “Poetry”: son mari peut être odieux, le chant d’un oiseau la ravit, la console et, bien sûr, nous la rend à la fois ridicule et adorable.
Film féministe? Voire!
SI M. Pujol éructant “pauv’con'” devant un gréviste renvoie sans ménagement à Nicolas Sarkozy, comment ne pas voir la “ségolinisation” de Mme Pujol se lançant dans la politique, arpentant l’estrade lors de son élection en tailleur blanc et assurant à ses électeurs qu’elle serait leur maman, que son programme tenait en un mot: fraternité?
Mais la caricature est douce, toujours tendre, jamais ironique, ne donnant jamais dans le sentiment de supériorité et la dérision veule.
Même Gérard Depardieu, si facilement dans l’outrance, donne à son personnage un poids d’humanité et de légère mélancolie : les retrouvailles dans son appartement modeste, avec une Catherine Deneuve lunettée de noir à la Audrey Hepburn vaut son pesant de romantisme suranné.
Et puis, ce délicieux retournement : la femme vertueuse et trompée, si à cheval sur les principes, n’a jamais renoncé à donner en toute bonne conscience libre cours à ses accès de sensualité, sans en faire tout un plat, dans le secret des corps et des coeurs. C’est cela aussi qui participe de ce sentiment ténu d’un jamais-plus: un respect naïf des convenances que l’on peut taxer d’hypocrisie ou… d’une sagesse qui fait préférer au déballage passionnel une esthétique du caché et de l’oubli.
La salle a hésité à applaudir, à la fin du film, mais les mines étaient unaniment réjouies. François Ozon est à mes yeux un très grand cinéaste, qui tels Kubrick, Truffaut ou Polanski, sait manier avec un talent égal tous les genres. Après “Potiche”, un petit détour par “Le temps qui reste”, film consacré au deuil de soi, ou “Sous le sable”, au deuil impossible de l’être aimé, suffira à s’en convaincre.
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Chère Fabienne,
Ce film est bien joliment décrypté, les descriptions si justes ... comme d'habitude !
Moi, je n'ai pas entendu le "pauv'con", par contre j'ai retenu le "travailler plus pour gagner plus" !
Marie
Le "pauv'con", c'est quand il en vient aux mains avec un syndicaliste dans son usine. Merci de tes gentils mots, en tout cas!