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Le chant de la mésange | Fabienne Grünfeld Clairambault
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Le chant de la mésange

Le feuillage argenté du tilleul se détache sur le bleu insolent du ciel et la pelouse est déjà émaillée des boutons d’or qu’Adée aime tant…


Elle redresse les oreillers, s’y adosse et quitte le doux spectacle que lui offre le jardin au matin pour se plonger dans son Républicain du Berry chéri. Rubrique Nécrologie. Elle commence toujours par là, des fois qu’elle y déniche une ancienne copine de classe, ou une commerçante, une vieille voisine. L’autre fois, elle y a trouvé la femme du docteur Merchaut. D’ici à ce qu’il se soit trompé de dosage, ce médecin si pieux toujours fourré à la messe et… tellement empressé auprès de Delphine, la nouvelle propriétaire de la Pharmacie de l’église. Fallait voir comme il lui parlait d’un nouveau traitement contre l’asthme dont on lui avait dit monts et merveilles. Elle n’avait rien lu à ce propos dans Le Moniteur des pharmacies, par hasard?


Pour une fois qu’Adée avait eu la force d’aller seule à la pharmacie, le spectacle valait le coup… Il bombait son maigre torse, épaules étroites, petit ventre saillant, et son sourire légèrement asymétrique, où pointait une canine mal venue, trahissait bien son amour de la science, des conversations scientifiques avec ses quasi-pairs…Tu parles! Il en voulait à ses jolies petites fesses galbées, oui, et à l’arrogante finesse de sa taille qui…
Bon, elle n’allait pas s’énerver avec tout ça, valait mieux que Mme Merchaut soit morte que cocue, non? N’empêche que s’il voulait s’afficher avec une femme trophée, Merchaut, faudrait qu’il rame parce que… il était pas seul sur le coup. Le fils du notaire, il s’y intéressait aussi, le beau Damien, et lui pouvait l’emmener dans les endroits chics.
Scarlett, la fille de sa femme de ménage qui est serveuse à “La Suite”, le restaurant cher très à la mode à Bourges, les y avait servis un soir. Paraît qu’il regardait la Delphine avec des yeux de merlan frit toute la soirée, et clairement ils n’avaient pas quitté les lieux pour aller faire des mots croisés…


Bon, Adée est contrariée, quand même. Elle n’arrive pas à se concentrer. Pourquoi Martial est-il devenu si nerveux? Elle ne pouvait plus lui faire la moindre réflexion, les remarques les plus anodines lui valaient claquements de portes et paroles désagréables. Quand elle pensait à ce qu’il lui disait avant de l’épouser: “Tu es ma reine et je serai ton indéfectible serviteur, ton soutien éternel, et rien de mauvais ne pourra t’arriver si tu acceptes de m’épouser…”


Ah! on en était loin, de tout ça! Bien sûr, maintenant qu’elle était faible, si faible, qu’elle avait besoin de soin et de réconfort, qu’elle souffrait du dos et de reflux gastriques atroces, sans parler de son arthrose qui la clouait au lit (cet imbécile de Merchaut lui disait toujours qu’elle devait marcher, faire du sport pour arranger tout ça, du trapèze volant pendant qu’on y était!), il n’y avait plus personne.
Elle lui a demandé gentiment, avant qu’il parte faire les courses, de lui prendre de l’Eau de Cologne de Roger et Gallet à la pharmacie, elle n’en a plus. Les courses, il adore ça, elle sait bien que c’est une détente pour lui, même s’il dit, histoire de se faire plaindre, qu’il aimerait bien qu’elle les fasse de temps en temps, que parfois il se sent fatigué, enfin, n’importe quoi! Elle, avec ses bras sans muscles et ses mains si fines qu’elle a du mal à empoigner les choses… Et la clim’ dans les magasins maintenant, ça lui donne immédiatement la migraine, et, parfois, direct la crève. Quelquefois, elle le trouve vraiment égoïste sous ses airs bonasses…


Voilà que maintenant il l’insultait, c’était nouveau! Il revient sans son eau de Cologne, bon, elle n’est pas très contente, mal comme elle est encore aujourd’hui (parfois, ses maux empirent tous en même temps), elle soupire : “Bah, et mon eau de Cologne?”.
Et là, il devient furieux: “Samedi matin, c’est la folie à la pharmacie! Une queue d’enfer, des clients jusque dehors! J’y retournerai cet après-midi…
– Ah oui, et comment je vais faire pour ma petite toilette, hein?” Elle lui a répondu, un peu énervée (ça, sans doute…), mais c’est qu’elle souffre, elle! “J’en ai marre”, elle a ajouté, c’est vrai, elle aurait peut-être pas dû… “quand je pense qu’avant le mariage, tu m’avais promis d’être mon fidèle soutien! Un mari minable, oui!”

Elle aurait pas dû dire ça. A la rubrique Psycho, Le Républicain du Berry dit toujours qu’il ne faut pas rabaisser son mari, ni ses enfants, enfin personne, et ça, “minable”, elle sent bien que ça doit être un petit peu rabaissant… Faut voir le mari et les enfants, aussi, on ne peut pas généraliser. Alors, il a lui rétorqué: “J’en ai ras-le-bol de vivre avec un dragon, un tyran domestique, incapable de foutre quoi que ce soit! J’en peux juste plus!”

Et elle a entendu la porte de la maison claquer très fort. Ça se trouve, la vitre derrière la petite grille en fer forgé de la porte s’est fendue. Mais quel barbare! Elle ne peut plus lire. Même pas la rubrique Conseils gastronomiques, qu’elle aime bien lui découper, par obligeance, parce qu’il aime faire la cuisine et que ça lui fait plaisir à elle de lui faire plaisir. Elle va lui faire la tête un petit paquet de jours, on peut compter sur elle, bon sang!, ça lui apprendra à l’insulter comme ça.

Adée regarde les mésanges sur la branche du poirier. Elles sont gracieuses, pense-t-elle, mais quel chant trop moche…

fabienne:

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  • Merci beaucoup, Marion, c'était juste un jeu d'écriture de textes (10 mots tirés au hasard, et hop! on doit écrire un texte) : je me suis bien amusée. Comme il y aura d'autres jeux, je continuerai peut-être l'histoire...