François Busnel reçoit, jeudi 6 octobre 2011, Stéphane Hessel (qu’on ne présente plus), avec François Bizot (“Le Silence du bourreau”) et David Grossman (“Une femme fuyant l’annonce”). Une belle leçon d’histoire et de morale en perspective…
Stéphane Hessel a tout de l’adorable vieillard que la nature a doté d’un doux visage, souvent éclairé d’un malicieux sourire. Et voici que cet homme charmant nous parle, à propos de son dernier livre coécrit avec Edgar Morin, “Le Chemin de l’espérance”, d’un des plus grands philosophes de notre temps, Walter Benjamin, qui mit fin à ses jours en septembre 1940 à Portbou, dans les Pyrénées-Orientales, à la frontière franco-espagnole. M. Hessel l’a rencontré quinze jours avant sa mort. C’était un ami de son père et, nous apprend-il, il était déprimé, il ne se remettait pas de ses “échecs universitaires”… Sans doute Stéphane Hessel ne souhaite-t-il pas nous ennuyer en nous rappelant que Walter Benjamin fut un immense philosophe, historien de l’art, critique littéraire, critique d’art et traducteur – notamment de Balzac, Baudelaire et Proust. Alors il ne précise pas tout ça.
Avant cette forte annonce, on avait une autre idée des raisons d’en finir de Walter Benjamin. L’horreur de la persécution subie en tant que juif en Allemagne, dès 1933, le désespoir de l’exil, de l’enfermement au camp de Vernuche près de Nevers, puis la crainte de se voir reconduire en France par le gouvernement espagnol et livrer aux nazis : on croyait que toutes ces petites choses avaient eu raison de ses dernières forces. “Echecs universitaires”, c’était donc ça…
Est-ce la médiocrité de leurs résultats à l’école primaire qui poussa un Stefan Zweig, un Klaus Mann, un Primo Levi, un Ernst Toller et tant d’autres sans doute au suicide? L’effroyable indifférence de leurs contemporains, l’inextinguible haine de l’esprit et la chute de tout leur univers intellectuel (“Le Monde d’hier”, comme Stefan Zweig intitula son autobiographie, postée à son éditeur une heure avant sa mort) n’ont pu pousser au désespoir ces âmes fortes et douces, ces écrivains reconnus. Sinon ça se saurait.
Par ailleurs et sans aucun rapport, il existe pour M. Hessel une merveilleuse raison, entre autres, de croire en l’avenir: la persécution de l’homosexualité a, grâce à Dieu, disparu aujourd’hui. Si, si, il le dit, radieux, donc ça doit être vrai. Tant de carrières et de vies ont été brisées par cette haine du différent, mais, ouf, c’est fini! Hélas, faut-il lui rappeler que cependant, en pays tout à fait fréquentables, sans doute, elle continue à être punie de mort:Mauritanie, Nigeria, Soudan, Somalie, Arabie saoudite, Yémen, Iran? Sans parler de ceux, plus nombreux encore (Egypte, Kenya, Tanzanie…), où elle vaut à leurs auteurs des peines de prison de plusieurs années, dans les conditions qu’on imagine… Bon, mais je ne voudrais pas l’attrister, hein, n’en parlons plus.
On l’aime aussi tellement, Stéphane Hessel, parce qu’il a un vrai souci de ne jamais nous déranger ou nous peiner. Racontant avec son bon sourire sa capture et son internement à Buchenwald puis à Dora, et combien c’était horrible, bien sûr, il ne trouve à aucun moment l’occasion de citer le martyre juif. Pas une seule fois le mot “juif” d’ailleurs ne sera prononcé. C’est fort, non, quand on parle de Walter Benjamin ou des horreurs de la seconde guerre mondiale et des camps? Allez, M. Hessel, vous êtes trop délicat, trop gentil, les victimes juives, ouh la la, on en entend bien assez parler comme ça…
View Comments (2)
Non, je n'ai pas vu l'émession. Dommage. Merci des commentaires que tu as faits. C'est éclairant.
C'est exactement sur ce ton et avec cette retenue qu'il convient de réagir à ce si bon et si honorable Monsieur Hessel