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Elena, d’Andreï Zviaguintsev | Fabienne Grünfeld Clairambault
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Elena, d’Andreï Zviaguintsev

 

Je m’attendais à un film long, à la lenteur majestueuse, quasi immobile. J’ai été captivée par un thriller psychologique, un drame qui vous tient en haleine jusqu’à la dernière image.

Le jour pointe, en un long plan immobile sur les branches nues d’un arbre hivernal, devant les baies vitrées d’un bel appartement. La vie s’y éveille. Elena (extraordinaire Nadejda Markina) se lève , prépare le déjeuner. Elle est lourde, sereine, ses gestes sont beaux et mesurés. Elle réveille avec douceur l’homme âgé, son mari, qui dort dans une autre chambre. La pièce baigne dans une lumière paisible, les paroles sont rares, le calme règne. Elle ira voir son fils en ce jour, annonce-t-elle.

On la suit, bus , train, marche dans un décor de banlieue triste, jusqu’à un HLM sordide construit à côté d’une centrale nucléaire. Elle est reçue sans attention, le fils boit de la bière et crache du balcon, le petit-fils s’abrutit de jeux vidéo, la belle-fille s’occupe vaguement du bébé. Plus tard, on apprendra qu’elle attend un autre enfant.  On fait à peine une place à la grand-mère dans la cuisine, elle donne de l’argent. Il en faut encore beaucoup plus pour que le fils entre à l’Université, pour qu’il échappe au service militaire qui l’enverra en Ossétie du Sud. On l’a compris, tout s’achète, l’entrée à l’Université, refuge contre une mort possible au combat, comme le reste. Il faut “arroser”, comme dit la belle-fille.

Retour sur le mari, Vladimir, dont elle fut l’infirmière autrefois à l’hôpital. Il quitte son appartement pour se rendre dans un centre de sports pour riches, dans sa belle voiture. Et là, il fait un infarctus en nageant. Lui aussi a une fille, qu’il ne voit  que rarement. Les retrouvailles auront lieu à l’hôpital. Scène étrange, si juste. La fille l’agresse, froide, cruelle, et lui rit, tendrement. Il ne croit pas à sa négligence. Ils s’embrassent, il la serre dans ses bras.

C’est elle qu’il comblera à sa mort, pas sa femme, dont il méprise la famille. Elena aura une rente, sa fille héritera du reste. Telle est sa décision, il l’annonce à sa femme à son retour chez lui.

Elena ne le supporte pas, on comprend que la tribu est le seul ancrage humain dans un monde social sans repères. Son fils à elle, sa fille à lui. La voix du sang, plus rien d’autre qui surnage… La tragédie de l’aveuglement maternel peut dès lors dérouler son enchaînement implacable.

La musique de Philip Glass (Symphonie No 3, Troisième mouvement), oppressante dans la montée rythmique des cordes, dans sa répétition lancinante, accompagne la marche d’Elena vers son fils, la nage de Vladimir vers la mort, le cheminement de la pensée d’Elena vers le meurtre. Son rythme haletant se mêle à la beauté glacée des images pour composer un tableau funeste.

Peu de dialogues ou si pauvres. Les images parlent.

Au pied de la centrale, au plus près, les plus que pauvres, Roms ou sans-abri frileusement regroupés autour d’un feu de camp, sont sauvagement agressés par les “moins pauvres” de la cité, dont le petit-fils futur “étudiant” d’Elena. Violence gratuite, haine abrutie de vacuité.

Elena, alors qu’elle ne sait pas encore que son mari ne donnera rien à son fils, va prier pour lui à l’église orthodoxe, toute chamarrée d’or, ruisselante des flammes des bougies. Mais là aussi, il faut payer, pour savoir quel saint prier pour un malade et quel autre pour un mort. Le pope consacrera sa messe au malade, moyennant une somme convenue. Elle prie, sans conviction: Dieu est-il achetable aussi?

Plus tard, le train qui emmène Elena avec l’argent volé dans le coffre du mari assassiné s’arrête en rase campagne, on ne sait pourquoi. Il repart et l’on découvre, avec les yeux d’Elena, le corps d’un cheval blanc gisant sur le flanc, son cavalier mort à côté de lui devant le passage à niveau. Sombre image d’un passé révolu, stridence du présent où le bel animal s’est fracassé contre la masse du fer en mouvement.

Objet symbole d’un matérialisme étouffant, la télévision est omniprésente. Bel écran plat chez Elena, elle est le dernier “membre” de la famille chez son fils, constamment allumée, petite certes, ignorée, mais jamais éteinte.

Reste la beauté de la langue russe, son ineffable douceur, si sensible lorsqu’Elena dialogue avec son mari, langue qui parle à mon coeur car j’y entends la voix de mon père, lui qui connaissait celle d’avant la Révolution, de Pouchkine et de Tolstoï, et qui avait du mal à comprendre le russe des temps nouveaux. Sa musique demeure, sertie dans les scansions impitoyables des cordes de Glass, conférant de loin en loin aux plans si beaux et si maîtrisés de l’image une séraphique douceur.

Categories: Films
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View Comments (4)

  • Oh là là, ça a l'air magnifique. Mais redoutablement déprimant. Je me sens pas le courage.

  • Non, non, ça ne m'a pas déprimée, c'est plutôt un thriller psychologique qui te tient en haleine de bout en bout. Bon d'accord, c'est pas follement euphorisant...

  • Pendant le film on n'entend que la première partie du mouvement de la symphonie de glass, c'est lors du générique que la deuxième partie est entendue : les solos de violons qui jouent chacun leur partition sans rapport avec les autres et cependant l'harmonie de l'ensemble est sauvegardée ; peut être est-ce une mise en abîme du récit ...


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