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D’amour et d’eau fraîche, d’Isabelle Czajka | Fabienne Grünfeld Clairambault
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D’amour et d’eau fraîche, d’Isabelle Czajka

 

J’ai revu en DVD une merveille de petit film ciselé, un bijou de légèreté en matière de peinture de la cruauté sociale. Il est passé inaperçu ou presque à sa sortie, en août 2010. Ceux qui je l’ont vu ont adoré. Et si les autres avaient été découragés par le critique du “Monde”, qui sait?, lequel lui reprochait de “ne pas mettre le système social à vif, façon Dardenne”? Aussi est-il  préférable de le dire tout de suite : Isabelle Czajka ne filme pas non plus l’amour à la manière du Visconti de “Senso” ou les scènes d’action à la Melville, façon “Le Doulos”. Elle dit et filme les choses à sa manière et on l’en remercie.

Une jeune fille cherche un emploi. Elle a des diplômes, de l’allant. Elle a un père dépressif, divorcé d’une mère constamment critique envers elle. Lui vit en HLM, la mère dans une impeccable villa de banlieue. Son frère a réussi, il a obtenu pour elle un emploi dans une agence de communication très en vogue. Et là, on la reçoit sans façons, ce sont des gens, disent-ils d’eux-mêmes, très “cool”, très “créatifs”, en fait d’effroyables bobos qui vont la traiter avec le plus total mépris, sans états d’âme, sans lui porter la moindre attention. La directrice (formidable Océane Mozas) porte des tenues sobres et branchées, elle sourit délicieusement, la tutoie tout de suite – et lui fait garder ses gosses quand la baby-sitter fait défaut.

Cette première partie est d’une rare cruauté : d’autant plus que rien ne vient souligner la chose, pas de révolte, pas de compassion, pas de colère. La description est implacable, et l’héroïne, si volontaire, seule mais jamais amère. Elle se donne à qui lui offre le restaurant, elle se donne parce que personne ne s’intéresse à elle, qu’elle n’est rien pour personne.

 

 

 

Le repas de famille est sensationnel sur ce plan : le frère comme la mère s’appliquent , sous couvert de conseils, à la rabaisser, à lui dénier toute valeur. Mais sans jamais que la réalisatrice ne tombe dans la caricature, c’est merveilleusement juste, cela pourrait passer inaperçu dans la vraie vie… Cela passe inaperçu dans la réalité, et c’est là tout l’art de la mise en scène que de souligner ce que d’ordinaire on ne voit pas.

La seconde partie du film, c’est Bonnie and Clyde au petit pied, le discours anarchisant en moins. Ben, qu’elle a séduit immédiatement, est un paumé comme elle, il s’intéresse à elle pour de vrai, elle n’en revient pas. Il joue au malfrat, il est un pauvre gosse perdu. Afin d’honorer une “commande”, il part dans les Pyrénées pour de fausses vacances de rêve et elle le suit puisqu’elle n’a rien à perdre et qu’elle sent bien qu’elle va l’aimer.

Pas de pathos, mais de très tendres scènes d’amour entre deux enfants abandonnés. Le coeur se serre devant tant d’innocence et de déréliction.

Rock et violente est la musique de la première partie, celle qui voit l’héroïne foncer contre les murs de l’indifférence et repartir, vaillante, gaie malgré tout. La bande son se fait élégiaque pour accompagner ensuite le duo d’enfants amoureux. J’ai aimé ce contraste assumé. Et le jeu stupéfiant de naturel et de subtilité des deux acteurs, Anaïs Demoustier et Pio Marmaï. J’aimerais leur prédire une longue et belle carrière.

 

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